Le 11 novembre 1940, Ivan Denys, qui est élève à Janson de Sailly en classe de 3e, et qui n’a pas encore quatorze ans, décide de se rendre place de l’Étoile en compagnie d’un certain nombre d’élèves de Janson, pour braver avec eux l’interdiction faite par Pétain de commémorer l’armistice de 1918 (décision prise pour ne pas froisser l’occupant allemand). Il s’est mis d’accord avec une dizaine de camarades de sa classe, il prend la tête de ce petit groupe, et ensemble ils vont se joindre aux « grands » du lycée.
Soixante-treize ans plus tard, en 2013, il raconte cet épisode fondateur pour lui dans un livre autobiographique : Lycéen résistant. Écoutons-le :
« À la sirène de quatre heures, nous nous précipitons en nombre — une dizaine de notre classe — vers le portail, au milieu d’une foule de « grands » qui l’ont forcé, malgré les efforts des surveillants. Cette sortie massive, joyeuse, de plusieurs centaines d’élèves de treize à vingt ans a des allures de reconquête de la liberté. »
En vérité, il y a déjà tant de monde à l’Étoile qu’ils ne pourront pas aller jusqu’au bout. Ils se contenteront de chanter la Marseillaise, et devront bientôt rebrousser chemin quand ils entendront des bruits menaçants de moteurs qui s’approchent :
« Impossible d’atteindre l’Étoile, impossible d’atteindre l’Arc de Triomphe : on se replie — sans se sentir vaincus. Cette manifestation nous remplit de joie, de fierté : nous avons bravé les interdictions, nous avons célébré le 11 Novembre, jour de victoire, une victoire que nous espérons, à notre tour, remporter un jour… »
Autour d’Edmond Lablénie, un professeur de lettres de Janson, se tisse un petit réseau de résistance à l’occupant, dont Ivan Denys nous retrace ensuite les principales péripéties. Le père de son camarade de classe Philippe Guimiot, qui est professeur d’allemand à Janson, est arrêté dans des conditions effarantes :
« Il venait de traduire devant ses élèves de Mathématiques spéciales un texte de Goethe qui se terminait par les mots : Es lebe Freiheit ! (« Vive la liberté ! »). (…) Il passa plusieurs mois en prison. »
Bientôt l’action de résistance du jeune Ivan déborde le seul cadre de Janson. Il se voit confier peu à peu davantage de responsabilités et devient, en 1943, responsable de la propagande du Front national pour les lycées de Paris. Nous le suivons jusqu’à la Libération.
Son livre contient également des détails passionnants sur la vie quotidienne pendant cette période troublée, et aussi quelques faits et gestes impressionnants des temps passés comme celui-ci, qui, d’après sa grand-mère, s’était produit dans sa famille pour les funérailles de Victor Hugo : « Elle me racontait que son père était venu à pied de Besançon pour les obsèques du grand poète. »
Son engagement dans des actes de résistance n’a pas empêché le jeune Ivan d’être un excellent élève. Dans le « Palmarès » du Lycée Janson de Sailly de l’année scolaire 1941-1942, nous découvrons que c’est lui qui a eu le Prix d’Excellence dans sa classe de seconde A3. A ce Prix s’ajoutent le Prix de Tableau d’Honneur, le 2e Prix de Composition française, le 1er Prix de Version latine, le 1er Prix de Thème latin, le 1er Prix de Version grecque, le 1er Prix de Thème grec, le 1er Prix d’Histoire-Géographie, le 2e Prix de Mathématiques, le 1er Prix de Physique et Chimie, et le 1er Prix de Récitation. Il n’y a qu’une seule matière dans laquelle Ivan n’a pas de prix : l’Éducation Physique !
Plus tard, Ivan Denys revient à Janson, pour y enseigner : il est devenu professeur de lettres classiques. Il garde de bons souvenirs de cette période, et aime bien raconter les deux anecdotes suivantes.
La première voit la secrétaire du proviseur venir le prévenir que le Premier ministre veut le voir immédiatement. Il s’agissait de Michel Debré, Premier ministre de de Gaulle. Ivan avait ses deux jumeaux comme élèves et l’un d’eux n’avait pas eu une très bonne note en latin. Mais le Ministre ne venait en aucune façon se plaindre, il voulait seulement savoir comment aider son fils à progresser.
Une autre fois, c’est un parent d’élève qui croit sans doute que l’argent peut tout qui lui propose… des lingots d’or s’il favorise le passage de son fils dans la classe supérieure ! Ivan les refuse avec indignation. Mais, quand on lui demande si ses autres collègues savaient tous résister à la tentation, son regard malicieux devient lourd de sous-entendus…
Plus tard encore, Ivan Denys est nommé professeur de khâgne à Paris et formera des générations de latinistes passionnés par son enseignement au lycée Honoré de Balzac.
J’ai eu la chance de l’avoir pour professeur, en khâgne, en latin, et je me rappelle qu’alors que son cours débordait d’un quart d’heure ou d’une demi-heure, tous les vendredis après-midi (c’était le dernier cours de la semaine), nul d’entre nous ne songeait à le presser de terminer son cours tant il captivait notre attention.
Ivan Denys a aujourd’hui quatre-vingt-treize ans, il s’intéresse toujours autant à la politique, à la culture, à l’art et à l’éducation, il a toujours en lui cette fibre de résistance à l’injustice qui lui a fait accomplir de si belles choses dès ses treize ans.
Son livre, Lycéen résistant, est publié aux Éditions Signes et Balises (2013).
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Éric Blaisse, professeur de lettres honoraire au Lycée Janson de Sailly, membre des Jansoniens
L’Association amicale des anciens élèves du lycée Janson-de-Sailly, Les Jansoniens (AEJS), existe depuis 1891, sept ans après l’ouverture du lycée. Fidèle à la tradition de Janson qui a toujours cultivé l’excellence, le pluralisme, et porté haut les valeurs de la République, solidement ancrée dans les réalités du monde contemporain, Les Jansoniens sont délibérément tournés vers l’avenir, vers celles et ceux qui fréquentent aujourd'hui l'établissement, qui se préparent à animer, vivre et piloter le monde de demain. Les Jansoniens n'oublient pas pour autant celles et ceux "qui sont passés par Janson", ravis de retrouver avec Les Jansoniens des amis, un climat, une ouverture et une communauté d'esprit qui ont marqué de leur empreinte leur personnalité.
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