Quand il regarde jouer Serena Williams, Pâris Mouratoglou vibre et manifeste bruyamment son soutien. Avec toujours une pointe d'appréhension : c'est Patrick, son fils, qui entraîne la championne américaine. Patrick, lui, ne laisse rien transparaître. Mouratoglou senior et junior, un binôme où chacun fait ce qu'il veut, à condition d'être le meilleur.
Pâris Mouratoglou a la culture de la gagne chevillée au corps, mais ne vous fiez pas à ses allures de professeur Tournesol. Né à Athènes en 1941, il débarque à Paris avec sa famille onze ans plus tard. Brillant élève, il intègre, après ses études au lycée Janson de Sailly, l’Ecole Polytechnique dans la même promotion que Jean-Louis Beffa, Bertrand Collomb et Jean-René Fourtou.
Après deux années chez IBM, il démissionne pour faire de l'immobilier. Le métier et ses innombrables procédures lui déplaisent. Il vend alors ses actifs et investit dans les énergies nouvelles.
Il crée plusieurs structures en suivant toujours le même précepte : identifier un nouveau segment porteur et le développer à une échelle industrielle en s'associant à un grand groupe. Il lance en Europe du Sud des petites centrales hydrauliques au côté de la banque Lazard, puis bifurque dans la cogénération avec la Compagnie générale des eaux (sa société, Sithe, sera cotée à New York).
Au début des années 1990, il se déploie dans l'éolien et le solaire en fondant SIIF.
n 2000, il convainc EDF d'entrer dans son capital. Un coup de maître : la société est rebaptisée EDF Energies nouvelles. Les commandes affluent. Pâris reste onze ans à la tête de l'entreprise. Son caractère affable et son sens de la diplomatie lui permettent de « gérer » sans anicroche les relations avec trois PDG successifs : François Roussely, Pierre Gadonneix, Henri Proglio. Une « perf », comme on dit dans le tennis.
En 2011 Henri Proglio fait une OPA sur sa filiale EDF Energies Nouvelles, Pâris Mouratoglou touche 800 millions d'euros. Mais l'homme reste le même. Simple, accessible, enthousiaste. A 69 ans, il considère la retraite comme une hérésie.
Pâris incarne une des plus belles réussites du secteur des énergies renouvelables. Patron de l'académie de tennis Mouratoglou, Patrick est devenu un personnage incontournable dans la sphère du tennis. A 74 ans, Pâris se lance dans les économies des ressources naturelles avec sa société Eren. A 44 ans, Patrick a fondé et préside la Mouratoglou Academy à Sophia-Antipolis.
« Ce qui me guide dans la vie, c’est le travail et la passion ». Branchez Pâris sur les mathématiques de l’infini, ses yeux brillent et il devient intarissable. De même pour le piano et ses compositeurs favoris, Bach, Schubert, Scriabine, Chopin, Rachmaninov ou Fauré.
« J’ai eu un prix au Conservatoire et j’ai failli devenir musicien. Je joue quarante-cinq minutes tous les jours et trois à quatre heures par jour durant le week-end ».
Une ferveur, un amour de la vie, qu’il a transmis à ses deux fils. Tous les deux ont choisi une autre voie que la sienne. Philippe, le cadet, est guitariste professionnel. Patrick gratte aussi la guitare. Mais son inclination va pour un autre « instrument » à cordes ! « Dans la musique, ou vous êtes parmi les trois premiers, ou vous n’êtes rien. Dans le tennis où la carrière ne dure que quelques années, le risque est encore plus grand ».
Patrick Mouratoglou en a longtemps voulu à ses parents. « Je me disais qu’ils n’avaient pas compris et pas su m’écouter. Un jour, je me suis rendu compte que ce n’était pas eux qui n’avaient pas su m’écouter, c’est moi qui n’avais pas réussi à me faire entendre. Cela a été un moment-clé. Je me suis promis que cela ne m’arriverait plus jamais, que désormais je saurais convaincre pour obtenir ce que je voulais, que les choses ne dépendaient que de moi ».
Patrick Mouratoglou intègre alors une petite école de commerce à Paris qu’il quitte au bout de un an. Il demande à travailler avec son père. « J’ai fait de la comptabilité, du contrôle de gestion, un peu d’immobilier locatif, mais je ne me voyais pas faire ça toute ma vie. En créant ma première académie, dans les Yvelines, je voulais voler de mes propres ailes, tracer ma voie. Mon père a respecté mon choix même si, sur le moment, il a été déçu ».
C’est Pâris, via sa société Eren, qui finance l’académie (Patrick détient 20% des parts). Les débuts sont difficiles. Ne faisant pas partie de la famille du tennis, Mouratoglou junior essuie les sarcasmes de la fédération et des agents de joueurs. Il s’associe alors avec le célèbre coach australien, Bob Brett, et convainc des jeunes prometteurs de le rejoindre.
Sa structure, c’est un peu l’école Montessori du tennis, aux antipodes des usines à champions. Patrick fait du sur-mesure, adapte son discours à chaque joueur. « L’objectif, c’est à eux de le fixer. Mon rôle est de les aider à l’atteindre. Mais je me dis aussi que les résultats dépendent de moi. Avec l’enchaînement des matchs, l’important dans le tennis, c’est de garder la motivation. Un champion ne doit jamais être dans une zone de confort. Il doit évoluer dans un état d’insatisfaction permanent ». Patrick a du charisme à revendre et une vraie influence sur les athlètes qui le considèrent un peu comme un grand frère, un mentor. Alors que les entraîneurs cherchent souvent à mettre de la distance entre leurs jeunes champions et des parents souvent envahissants, Patrick Mouratoglou essaie de les intégrer à son dispositif. En moins d’un an, la française Aravane Rezaï est ainsi passée de la 70ème à la 15ème place mondiale.
Son plus bel exploit est d’avoir relancé la carrière de Serena Williams.
En 2012, l’Américaine, alors 5e mondiale, est éliminée au premier tour de Roland-Garros. Elle contacte aussitôt Patrick. Un mois plus tard, elle triomphe à Wimbledon, accumule à nouveau les trophées et récupère sa place de numéro un mondial. Le coach gagne le respect de ses pairs, le titre de meilleur entraîneur en 2013, décerné par l’association du circuit féminin WTA et… le cœur de Serena.
Hier décrié pour ses propos dérangeants Patrick est devenu un consultant recherché. Il travaille pour plusieurs chaînes de télévision, chronique dans de nombreux magazines, anime des séminaires internationaux. Une reconnaissance qui le comble, mais c’est celle de son père qui le satisfait le plus. « J’ai de l’admiration pour Patrick », dit Pâris.
L’académie des Yvelines a vécu. La Mouratoglou Academy est désormais à Sophia-Antipolis : 33 courts, un hôtel de 160 chambres et une école qui peut accueillir 150 champions et 3000 stagiaires.
Une structure pensée par Mouratoglou junior, un plan de financement réalisé par Mouratoglou senior. Les deux hommes évoluent dans des sphères distinctes mais qui les rassemblent.
Dans le business, on parlerait de win-win. Dans le tennis, c’est un double gagnant !
D’après l’article du magazine Challenge « Mouratoglou, père et fils, la même énergie pour gagner », par Nicolas Stiel, 26 mai 2014.
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