Septembre 2004
À quelques mètres de Janson-de-Sailly, à l’angle des rues Decamps et Greuze, le curieux peut voir deux immeubles édifiés par Hector Guimard au début des années 1930. Ils décevront à première vue par un style où quelques restes de l’Art Nouveau persistent sur des façades soumises à l’Art Déco alors triomphant. Pourtant, ces ouvrages n’en sont pas moins passionnants, par la franchise avec laquelle l’architecte sacrifie à la mode ambiante, mais surtout par le tour de force que représenta, en particulier au n° 30, le fait de réaliser un édifice sur un terrain d’à peine 5 mètres de profondeur ! Bien qu’il ait trouvé l’astuce de placer toutes les commodités (escaliers ou salles de bains) dans des bow-windows, Guimard n’y réalisa en fait que des « garçonnières », autrement dit : des studios pour jeunes gens. La proximité du lycée l’avait certainement encouragé à exploiter une parcelle ingrate, afin d’y créer des logements pour des provinciaux venus achever leurs études à Paris. Les immeubles de la rue Greuze constituent la fin d’un vaste parcours dans le XVIe arrondissement, où une grande partie de l’oeuvre architecturale de Guimard encore existant peut être admirée. Toutes ses périodes y sont représentées ; quelques édifices majeurs y subsistent encore, justifiant parfaitement l’idée que cet arrondissement est un véritable musée Guimard en plein air. Effectivement, à part la synagogue de la rue Pavée et l’immeuble de bureaux de la rue de Bretagne, l’artiste ne s’est guère aventuré, sur le terrain parisien, en dehors de Passy, et surtout d’Auteuil, où plus de la moitié de son oeuvre a été réalisée. Une raison simple peut expliquer cette préférence : l’architecture, encore très artisanale à son époque, demeurait une véritable « affaire de famille ». On construisait pour ses proches, les amis de ses proches, les parents des amis de ses proches, et les amis des parents des amis de ses proches… Autour de quelques personnes, Guimard a ainsi bâti toute son oeuvre, y compris des villas en province ou en banlieue. D’emblée, Guimard se positionne dans le XVIe qu’il ne quitta jamais, allant de l’avenue de Versailles au boulevard Exelmans, puis rue La Fontaine, avenue Mozart, et terminant sa vie parisienne rue Henri-Heine, avant de partir à New York où il devait mourir en 1942. Né à Lyon en 1867, Guimard appartient à la génération des architectes novateurs qui lisent Viollet-le-Duc en cachette, qui suivent l’exemple des ingénieurs (la Tour Eiffel), qui s’intéressent à des matériaux plus ou moins nouveaux (béton, meulière, brique, grès flammé, fonte) où dont ils font un usage tout à fait novateur. Cette envie de nouveauté, couplée à un réel désir de réaliser une architecture vivante et ludique se voit parfaitement dans ses premiers édifices importants : les hôtels Roszé (1891) et Jassedé (1893), rue Boileau et rue Chardon-Lagache, avec une variété des volumes et des toitures, l’animation colorée des impostes et des architraves ; l’école du Sacré-Coeur, avenue de La Frillière (1895), le voit employer des piliers inclinés pour soutenir le vaste préau. Toutes ces constructions le font évoluer dans les milieux catholiques et c’est au sein de la Société historique d’Auteuil et de Passy qu’il trouve les commanditaires de l’atelier Carpeaux, boulevard Exelmans, et du Castel Béranger, rue La Fontaine, premier chef-d’oeuvre absolu et manifeste d’un art nouveau. La découverte de l’édifice, en 1898, vaut à son auteur une prime au premier concours de façades de la ville de Paris, qu’il exploite astucieusement en accompagnant l’événement de conférences, d’une exposition et d’un ouvrage luxueux sur l’immeuble. Sa carrière lancée, Guimard met définitivement son style au point dans plusieurs édifices. C’est donc un homme parfaitement maître de ses moyens qui reçoit la commande des édicules du métropolitain (1900), passionnante expérience d’éléments modulaires en fonte, jouant à l’infini sur le rapport entre le plein et le vide. La réception des édicules, et notamment le graphisme des panonceaux, est très mitigée, d’autant que Guimard y emploie une formule maladroite : « Architecte d’art », dont il confirmera la prétention en créant trois ans plus tard le « Style Guimard » !
Les immeubles de l’angle des rues Decamps et Greuze ont été construits sur une parcelle de 5 mètres de profondeur.
Du Castel Béranger jusqu’aux immeubles Jassedé, l’architecte travaille fort peu à Paris. L’architecture urbaine est évidemment très contraignante, et seule la maison particulière offre une totale liberté des volumes, à la façon d’une gigantesque sculpture. Les immeubles de l’avenue de Versailles mettent néanmoins à profit quelques trouvailles faites en province, notamment dans l’étonnante virtuosité de l’angle, aux fenêtres décalées. Mais, surtout, cet édifice partage avec le petit hôtel de la Villa de la Réunion le privilège de signaler une nouvelle manière, plus élégante, moins provocante, avec des formes et des motifs plus ronds, plus lisses. Tout en restant un maître de l’Art Nouveau, Guimard se détourne progressivement du Moyen Âge pour s’inspirer d’un XVIIIe siècle aimable et confortable. L’hôtel Nozal, rue du Ranelagh (détruit), puis surtout son propre hôtel, avenue Mozart, l’hôtel Mezzara et les immeubles de la rue Agar sont la brillante démonstration d’un « Style Guimard » épuré, assagi, en un mot, embourgeoisé. Malheureusement pour lui, ses prises de position, ses formules – et sans doute un caractère trop bien trempé – ne lui ont pas fait que des amis. Heureusement, son mariage avec Adeline Oppenheim, une riche Américaine, lui permet de se lancer dans des projets immobiliers importants peu avant la première Guerre mondiale, mais ils se révéleront tous des échecs, même le groupe d’immeubles de la rue Agar. Après la guerre, en dehors du petit hôtel du square Jasmin, seul exemple réalisé d’une tentative de construction standardisée destinée à la reconstruction des régions dévastées, on ne peut guère admirer de lui que l’imposant immeuble du 18 rue Henri- Heine, où il s’installa finalement. La tentative d’imposer une nouvelle carte de visite au travers d’un style en grande partie renouvelé se révéla malgré tout inutile. S’il mérite aujourd’hui d’être réhabilité et si son oeuvre retrouve peu à peu la place qui devait être la sienne dans l’histoire de l’architecture française, on doit en trouver la justification dans son incroyable inventivité et sa virtuosité graphique exceptionnelle, en particulier dans le domaine du meuble. Pour le Castel Béranger, comme pour la Salle Humbert de Romans – gigantesque salle de concerts qui ne vécut que cinq années, rue Saint-Didier –, il réalisa des centaines de dessins, attentif à chaque détail de ses édifices comme à leur décoration intérieure. Il figure parmi les derniers architectes pour lesquels un bâtiment devait être un ouvrage complet, et dont le contenu ne devait pas être différent du contenant. Malheureusement, ses rêves d’art total ne furent pas toujours suivis par ses clients, à qui ils coûtaient chers, et on ne peut guère compter qu’une poignée de constructions où il fut en mesure de prendre en charge la totalité du projet ; en ce sens, son propre hôtel particulier de l’avenue Mozart, abondamment meublé et amoureusement décoré, constitue une sorte de chef-d’oeuvre dans le domaine. Mme Guimard se proposa, après la mort de son mari, d’offrir la maison à l’État, puis à la ville de Paris. Devant les refus qu’elle essuya, elle céda des ensembles mobiliers aux musées qui voulaient bien les accepter (Petit Palais à Paris,Lyon, Nancy) et se résolut à vendre l’édifice. Aujourd’hui, on ne détruit plus les entrées de métro. Le scandale de la station Bastille, suivi de peu par celui de la démolition stupide du Castel Henriette à Sèvres (1969) fut malheureusement le sacrifice nécessaire qui devait préluder à la redécouverte de Guimard, brillamment exposé à New York en 1970, puis à Paris l’année suivante. Sa reconnaissance tardive semble maintenant acquise et définitive ; ses ouvrages sont de mieux en mieux protégés, certains sont consciencieusement restaurés. On peut maintenant espérer que son nom et son travail resteront dans la mémoire de l’art, comme pour donner raison au Corbusier qui, dès 1925, au moment où sa renommée était déjà au plus bas, lui avait rendu un fervent hommage dans l’un de ses premiers ouvrages théoriques.
* Conservateur en chef au Fonds national d’art contemporain et membre du Cercle Guimard, association qui entend rassembler tous ceux qui s’intéressent à Hector Guimard et promouvoir son oeuvre (www.lecercleguimard.com).
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